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Le fer de lance de l’équipe de France de défense et le sélectionneur caporaliste

Les militaristes français adorent les analogies sportives. Ils ne sont rien de moins que l’équipe de France de défense. Dans les histoires qu’ils racontent, ils sont ceux qui permettent, plus que tout autre acteur, à la nation de maintenir son rang dans le monde, notamment grâce à des performances répétées dans le classement des meilleurs vendeurs d’armes.

Procédons un instant à leur manière en imaginant un attaquant de l’équipe de France de football découvrant sa place dans le dispositif mis au point par le sélectionneur pour affronter le Mali dans le premier match d’une phase finale de coupe du monde. Appelons ce joueur Nicolas. Ce dernier est légitimement déçu. Lui qui briguait le capitanat se voit dépassé par un confrère du milieu de terrain à qui le sélectionneur remet en plus les clés du jeu et le mythique numéro 10. Comme si ce n’était pas suffisant, le Gunner Nicolas, l’emblématique joueur du club d’Arsenal, se retrouve en position décalée sur une aile, lui qui joue habituellement avant-centre et qui ne vit que pour cet instant de gloire suivant le moment où il fait trembler les filets adverses.

Dans le secret du vestiaire, Nicolas perd ses nerfs et la formule fuse : « Je ne me laisserai pas baiser comme ça ! » tonne-t-il en frappant du poing sur la porte du casier de son vestiaire qui n’avait rien demandé.

Dès lors, la mécanique s’emballe. Les confrères les plus proches de Nicolas dans le microcosme de Clairefontaine s’en mêlent : « Hein ? Quoi ? Comment ? Mais ce n’est pas possible ça ! Le coach ne nous avait pas annoncé ça quand on a fait pression sur lui au moment de sa nomination ! ».

Les agents sont vite sollicités pour aller geindre devant les caméras. Les journalistes sont aussi mis à contribution. Ils se montrent enthousiastes à combler un vide estival résultant d’une actualité autrement ennuyeuse. C’est que la musique qui marche au pas même à la sauce Daft Punk, ce n’est pas très stimulant, et que le Tour de France n’est plus depuis longtemps ce qu’il a été, tout à l’inverse de Roger Federer. Alors, pensez donc, ce clash entre le maître du Château et l’attaquant-star est une aubaine. Les blogueurs s’excitent tout autant que la twittosphère monte en température.

Et puis, le coach, appelons-le Raymond, prend la parole en conférence de presse :

« La dernière fois que j’ai regardé, il appartenait au sélectionneur de faire la composition de l’équipe. Il me semble que c’est toujours le cas. J’attends donc que chacun reste dans son rôle. J’ai bel et bien prévu de repositionner Nicolas en pointe dès le prochain match contre la Russie. Malheureusement, pour cette rencontre, je dois composer avec des absences préjudiciables. J’estime pouvoir demander à Nicolas de consentir à un effort au nom de l’intérêt général. J’ai toujours confiance en lui parce que je sais qu’il a à cœur le service de l’équipe ».

On aurait pu en rester-là, mais non, Nicolas n’est pas comme ça, son ego non plus. Le voilà qui se fend d’un message urbi et orbi, oui, exactement comme le pape, sauf que le canonnier s’exprime uniquement à l’écrit par le biais de sa page Facebook. Dès le départ, le footballeur en appelle au traumatisme de Séville en citant Hidalgo. Par la suite, Nicolas se veut implicitement explicite :

« Coach, votre sortie médiatique est regrettable. Vos consignes prennent les atours d’un caractère impérieux qui frise le caporalisme. Je me permets de vous rappeler, fort de mon expérience reconnue et en conformité avec les attributs de ma fonction, que je ne suis pas un attaquant de soutien, mais bien un avant-centre. Si vous avez l’outrecuidance de me faire jouer une partition qui ne correspond pas à mes inestimables qualités footballistiques, vous devez comprendre que je me sente l’obligation de vous en faire la remarque d’une manière ou d’autre. Vous admettrez, coach, qu’aucun footballeur ne saurait suivre aveuglément les directives d’un supérieur légitimement discutable. Dans cette optique, il ne me paraît pas illogique d’inviter l’ensemble de mes soutiens à interroger l’autorité. La confiance, ça se mérite, la mienne comme celle de mes compagnons. Les mots de mes soutiens n’engagent qu’eux, mais s’ils devaient vous présenter comme un protodictateur commettant dans cette affaire une faute footballistique des plus évidentes, c’est que c’est peut-être mérité. Comprenez par ces lignes que je n’ai à cœur que l’intérêt supérieur de l’équipe de France, moi. »

Rendez-vous prochainement (ou pas) pour connaître la position de Raymond. Cette fable bien franchouillarde est donc à suivre

Précisons tout de même qu’il va de soi que toute ressemblance avec une quelconque dramaturgie s’exposant actuellement dans les médias ne pourrait être comprise autrement que comme une pure coïncidence. Ce billet n’est en définitive rien d’autre qu’un trait d’humour, ce qui ne l’empêche cependant pas de convoyer un message subliminal.

 

Yannick Quéau

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Photographie : tifo du groupe de supporteurs Irrésistibles français lors du match de football France-Autriche du 14 octobre 2009. Crédit : Boisdupastix, CC B-Y SA 3.0.

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Pour citer ce document

Yannick Quéau, « Le fer de lance de l’équipe de France de défense et le sélectionneur caporaliste », Blog PADS, Lemonde.fr, 18 juillet 2017.

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