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L’élection de Trump n’a pas eu lieu et c’est tragique

L’actualité internationale soulève aujourd’hui beaucoup d’intérêt pour les questions de paix et de sécurité. Ces sujets regroupent de multiples dimensions, que se soit l’analyse des conflits, du droit, de l’éthique, des aspects budgétaires, industriels et technologiques. L’idée du blog Paix, armement, défense et sécurité (PADS) est partie du constat qu’il est parfois délicat d’assimiler et de donner du sens à la pluralité des informations qui tentent de couvrir ces questions. Le nombre de données disponibles, leur qualité variable et certains biais dans le traitement rendent la tâche particulièrement complexe.

Le blog PADS est tenu par Yannick Quéau, directeur d’OSINTPOL. Il est diffusé sur le lemonde.fr et sur osintpol.org. Son objectif est d’offrir un point de repère aux personnes intéressées par ces enjeux, d’informer sur les quelques dossiers mobilisant l’attention du monde de la paix et de la sécurité et d’offrir quelques clés de lecture. Il s’agit de s’inscrire dans les débats parcourant cet univers particulier ou de mettre en évidence des analyses plus originales qui mériteraient davantage d’attention.

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Avec la victoire ce mardi de Donald Trump dans la course à la Maison blanche, l’oligarchie occidentale récolte une fois de plus les fruits d’une trajectoire qu’elle se refuse à reconnaître publiquement depuis plus de 25 ans. La libéralisation de l’économie pour satisfaire à l’impératif de mondialisation et la destruction de ce qu’il restait de l’État-providence ont concentré la richesse dans une petite fraction de la population tout en privant d’espoir tout une frange beaucoup plus large de la société dont les ‘membres’ se rendent bien compte que leurs enfants n’iront jamais à l’université et certainement pas dans les « bonnes », qu’ils ne seront jamais propriétaires de leur logement et qu’ils auront les pires difficultés à payer leurs soins de santé tout au long de leur vieillissement avec leur maigre retraite, s’ils en ont une.

Face à cela, juste après être passés à la caisse chez Goldman Sachs, les représentants de l’establishment nous disent que tout va bien, que le dogme est bon et que si les électeurs n’ont pas compris cela, c’est la faute à un manque de pédagogie.

Pour cette oligarchie, il est acceptable de gifler un Alexis Tsipras qui a l’outrecuidance de s’aligner sur le diagnostic du Fonds monétaire international quant à la situation de son pays, de manipuler une primaire du parti démocrate pour faire barrage à un Bernie Sanders trop à gauche, de faire la leçon en mode condescendant à un socialiste de Wallonie respectant pourtant scrupuleusement son mandat démocratique, de chercher aux Pays-Bas le moyen de contourner les résultats d’un référendum pour poursuivre les affaires sans tenir compte de l’avis populaire, etc.

Cette oligarchie cajole par ailleurs Recep Tayyip Erdoğan et les autres islamofascistes du Moyen-Orient, les artisans du Brexit, une Commission européenne dirigée par un expert en évitement fiscal et qui n’est pas spécialement rude avec les fascisants de Pologne, d’Autriche, de Hongrie ou de Flandre… C’est que pour une oligarchie occidentale aux intérêts déterritorialisés, mieux vaut voir au pouvoir des protofascistes populistes néolibéraux que toute forme d’inflexion démocratique à gauche.

Après Jean-Marie Le Pen au second tour de l’élection présidentielle en France en 2002, après le référendum sur la constitution européenne, après le Brexit, après Trump et après tout ce que vous voulez, les médias nous jouent la même rengaine en organisant un défilé de vierges offensées et de petits-Joe-qui-savent-tout et qui seraient capables de comprendre la source de tant de populisme.

Rapidement cependant, on aura droit à un retour aux affaires sur le même mode néolibéral que précédemment. La déesse TINA (there is no alternative) est parfaitement rodée à faire de ces chocs et autres coups de tonnerre, de ces surprises colossales qui devaient tout changer… des non-évènements.

L’élection de Trump n’a pas eu lieu. Pas plus que le Brexit ou le vote des Français contre la constitution européenne. Jean-Marie Le Pen ne s’est pas non plus rendu au second tour de l’élection présidentielle. Sous un prétexte sécuritaire, un gouvernement socialiste n’a pas non plus considéré l’idée d’inscrire dans la constitution de la République française une hiérarchie entre des Français purs et des Français impurs. Non, je ne suis pas fou, pas plus que je ne suis dans le déni. Vous pensez bien qu’on vivrait dans un autre monde si tout cela était vrai. Non ?

Au final, le candidat Trump devra corriger sa posture pour satisfaire aux exigences de TINA. Le machisme assumé du personnage n’y changera rien : le 45e président des États-Unis, l’homme le plus puissant du monde, devra revoir ses positions et faire à peu de choses près ce que la seule divinité matérialiste et financière qui compte vraiment attend de lui. Et pour tout démocrate, c’est tragique.

J’entends déjà la riposte des laquais de l’oligarchie : « Aucun lien ! Aucun rapport ! Vous mélangez tout ! On ne vous a pas appliqué la bonne pédagogie ! ». Ha oui, merci pour l’éclairage (les lumières, la modernité, tout ça). J’attends donc impatiemment mon billet pour mon camp d’été de rééducation à la Chicago School. Si c’est Harvard, je prends aussi. C’est que voyez-vous, si vous ne m’aidez pas un peu, je n’ai pas trop les moyens de recevoir les bonnes pédagogies qui profitent aux bonnes personnes.

À votre bon cœur, mes seigneurs.

 

Yannick Quéau

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Photographie : Le candidat Donald Trump se livrant à un discours anti-immigrants lors de la campagne présidentielle américaine, Phoenix, Arizona, 31 août 2016. Crédit : Game Skidmore, CC BY 3.0.

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Pour citer ce document

Yannick Quéau, « L’élection de Trump n’a pas eu lieu et c’est tragique », Blogpads.blog.lemonde.fr, 10 novembre 2016.

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Lire par ailleurs

Yannick Quéau, « L’intelligence du bien commun », Note d’analyse d’OSINTPOL, 14 juillet 2015.

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