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Décalé : How blue can you get ?

Une publication différente et plus légère permettant de s’inscrire dans le battage médiatique accompagnant la sortie au cinéma du nouvel opus de Marvel à savoir Captain America : Civil War. En fait, il s’agit là d’un prétexte pour mettre l’accent sur des éléments plus amusants participant à une sorte de sous-culture propre au milieu de la défense et des armements en particulier. Pour l’occasion, la collaboration du lecteur est requise. Un intrus s’est en effet glissé dans la liste des logos d’entreprises de défense ci-dessus. L’enjeu est simple : pouvez-vous l’identifier ?

Non, personne n’a joué avec les filtres de couleur pour vous présenter ce montage et non, l’intrus n’est pas DCNS en dépit d’un effort notable pour se distinguer des autres acteurs du domaine avec cette touche de rouge savamment déposée à l’extrémité de son logo. Le groupe français du domaine naval n’a pas osé la même radicalité vermeille que BAE Systems. D’aucuns pourraient objecter que le fait d’être Anglais (le rouge et le blanc étant les couleurs du célèbre étendard à la croix de Saint-Georges) est en soi une explication à cette entorse à la règle non écrite du milieu des producteurs d’armements qui veut qu’un logotype digne de ce nom soit bleu.

Illustration 1 : logotype et slogan de BAE Systems

Source: BAE SYSTEMS

Si vous prenez une liste des 100 plus grandes entreprises de défense que ce soit celle établie par le SIPRI ou celle publiée par Defense News, vous aurez certainement plus vite fait de compter les acteurs n’ayant pas un logotype bleu que de dénombrer ceux utilisant cette couleur.

Pourquoi ce choix ? D’abord, parce que même imprimé en noir et blanc sur un support papier, le bleu choisi est en général suffisamment sombre pour demeurer clairement identifiable. Ensuite, sans doute aussi parce que bleu, ça fait sérieux, c’est un symbole d’autorité, un peu comme les uniformes de polices et en fait la plupart des services administratifs, jusqu’aux organisations internationales (ONU, OTAN, OSCE…).

Le bleu, c’est la couleur de l’État, c’est également masculin. Sérieusement, vous imaginez un logotype d’une entreprise vouée à la fabrication et au commerce des armes en rose ? La balle dissimulée dans la dernière lettre du logotype de la firme norvégienne Nammo n’aurait sans doute pas le même impact. Jusque dans leurs logotypes, les firmes de défense ne semblent donc pas échapper aux stéréotypes de genre.

Mais la réponse au défi posé se fait attendre. La voici donc sans plus tarder : il s’agit de Stark Industries qui entend ni plus ni moins que de « changer le monde pour un futur meilleur ». Vous étiez un peu aidé par la mise en forme particulière du logotype dans la liste proposée. Peut-être aussi étiez-vous en fan inconditionnel de comics books ou autres films de super héros et étiez en conséquence pleinement informés qu’il s’agit là du nom d’une entreprise n’existant que dans des œuvres de fiction.

Stark est en effet le patronyme d’un industriel de la défense qui se trouve par ailleurs n’être nul autre qu’Iron Man, super héros de l’écurie Marvel, dopé par une cellule d’énergie exceptionnelle lui permettant d’endosser l’armure ultime du super soldat, un scaphandre intégral robotisé de toute part, même si une intelligence humaine (celle se Tony Stark) se trouve encore à la manœuvre. Occasionnellement, néanmoins, une intelligence artificielle nommée Jarvis (pour Just A Rather Very Intelligent System) manœuvre plusieurs armures qui sont alors autant d’armes autonomes opérant parfois en essaim. Pour le coup, le MQ-1 Predator produit par General Atomics (encore un logo bleu), symbole s’il en est de la guerre globale au terrorisme et de la robotisation du champ de bataille, souffre de la comparaison.

« Changing the world for a better future »

Vous n’aurez pas manqué de noter le symbole utilisé pour le logotype de cette entreprise fictionnelle. Il évoque sans ambigüité le pentacle de Lockheed Martin. On peut par contre penser que la typographie se rapproche davantage de celle de Northrop Grumman du fait de l’épaisseur de la hauteur et de l’inclinaison des lettres. Le slogan de Stark Industries s’inspire d’une tradition américaine du domaine. Changing the world for a better future prend ainsi place auprès de Defining the Future (Northrop Grumman), de We never forget who we’re working for (Lockheed Martin) ou encore de Strength On Your Side (General Dynamics) sans oublier le Inspired Work de BAE Systems (illustration 1).

Illustration 2: logotype et slogan de Stark Industries

Source : d’après Marvel

Le nom du groupe peut éventuellement faire penser à un designer bien en vue ou à un capitaine de cavalerie de la bande dessinée Les Tuniques bleues, mais c’est en fait du côté Howard Hughes qu’il faut regarder. Le personnage de fiction emprunte à Hughes de nombreuses caractéristiques pour s’afficher en playboy fantasque hautement charismatique et médiatique, aventurier et inventeurs de talent.

Les intentions de Stan Lee, le créateur de la plupart des personnages de Marvel, quant à Tony Stark sont exposées dans une entrevue disponible sur le supplément accompagnant la sortie en vidéo du film The Invicible Iron Man en 2008 :

« Je pense que je me suis lancé un défi. C’était le sommet de la Guerre froide. Les lecteurs, les jeunes lecteurs, s’il y a une chose qu’ils haïssaient, c’était la guerre, c’était les militaires… alors j’ai créé un héros qui incarne tout cela au centuple. C’était un fabricant d’armes, il fournissait des armes pour l’armée, il était riche, c’était un industriel… Je pensais que ce serait amusant de prendre le genre de personnage dont personne ne voudrait, dont aucun de nos lecteurs ne voudrait, de le leurs faire ingurgiter et de faire en sorte qu’ils l’aiment… Et il est devenu très populaire. »

C’est là en effet une manière de vouloir changer le monde.

 

Yannick Quéau

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Photographie : montage réalisé par l’auteur du texte à partir des logotypes collecter sur les sites des entreprises nommées. Le titre du texte fait référence à une chanson de B.B. King. Crédit : OSINTPOL, certaines conditions peuvent s’appliquer.

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Pour citer ce document

Yannick Quéau « Décalé: How blue can you get ? », Décryptage d’OSINTPOL, 6 mai 2016.

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Lire par ailleurs

Aude-E. Fleurant : « La base de départ du prochain cycle haussier pourrait mener à des niveaux jamais vus depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale », propos recueillis par Yannick Quéau, Décryptage d’OSINTPOL, 18 avril 2016.

Aude-E. Fleurant : « Une façon de pérenniser l’activité industrielle de défense consiste à trouver des débouchés à l’exportation », propos recueillis par Yannick Quéau, Décryptage d’OSINTPOL, 22 février 2016.

Aude-E. Fleurant : « Les groupes d’armements français du top 100 du SIPRI affichent tous des baisses de leur chiffre d’affaires », propos recueillis par Yannick Quéau, Décryptage d’OSINTPOL, 14 décembre 2015.

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